12. Logements et travaux.

En 1973 : studio rue Notre Dame des Champs

      Revenus de Californie, nous louons un studio dans un immeuble de bon standing rue Notre Dame des Champs. Je ne me souviens pas avoir adressé la parole à qui que ce soit dans l’immeuble pendant les deux années où nous y avons habité. En semaine, je prends le RER direct pour aller à Orsay. Un point fort de ce logement est sa proximité des lignes de bus 58, 68, 82, 83 et 91. Célie se rend à l’école Active Bilingue, rue de la Pompe dans le seizième arrondissement par le bus 82. Son trajet, très touristique, passe dans les beaux quartiers du 7ème arrondissement, derrière les Invalides, près de la tour Eiffel et traverse la Seine avant de monter sur la colline de Passy. 

      Célie sympathise facilement avec des inconnus, au hasard des rencontres. Pendant ses longs trajets, Célie rencontre une autre américaine, Barbara Moross, avec qui elle restera amie, malgré la distance lorsque nous déménagerons. Elle se lie également avec le détaillant de fruits et légumes qui tient avec son frère, l’enseigne « cours des Halles » installée à 100 m de chez nous.

Le lit à eau.

Dans cet appartement, nous avons un lit à eau, installé dans un coin de la grande pièce unique. Ce type de lit est typiquement californien. C’est une grande poche rectangulaire en PVC qu’on maintient dans un cadre et qu’on remplit d’eau jusqu’à ce qu’elle s’appuie sur le cadre. Le taux de remplissage détermine le comportement de ce matelas d’eau. A trop faible remplissage la poche est très déformable et on bouge comme sur des vagues quand on se retourne. A trop fort taux de remplissage, proche du maximum, la poche ne se déforme plus et le lit devient trop dur. Entre ces deux extrêmes il existe un optimum de déformabilité qui se règle facilement (en ajoutant, ou en évacuant un peu d’eau).

C’est Célie qui souhaite un tel matelas et je crois qu’il faut vivre en Californie pour apprécier ce genre d’invention. En tout cas, ce lit à eau n’a pas guéri le mal de dos dont je souffrais épisodiquement à cette époque.

1975 – 1980 : deux-pièces rue Campagne première.

      En 1975 nous quittons le studio de la rue Notre Dame des Champs pour aller dans un petit deux pièces situé rue Campagne première, dans le 14ème arrondissement. Pour y accéder, il faut ouvrir la grille d’entrée, passer devant le logis de la concierge et emprunter une allée longue de trente mètres, qui mène à une cour où se trouvent deux arbres et que bordent deux petits immeubles de quatre étages. A partir de là, il faut rassembler ses forces pour monter au quatrième et dernier étage sans ascenseur. 

      Ce long trajet ménage une transition douce entre le monde de la rue et le chez-soi, bien plus plaisante que l’entrée du logement précédent. 

Cette configuration nous permet de rencontrer un de nos voisins, Horst, un Allemand passionné de jardinage. Son deux pièces déborde de fleurs par toutes les fenêtres et il a même fait une ouverture dans son plafond afin que des plantes puissent passer par le toit et bénéficier de la luminosité extérieure. 

1980. Acheter un logement :  comment choisir ?

     En 1980 nos économies sont devenues suffisantes pour passer de la location à l’achat d’un appartement. Nous en visitons une cinquantaine et je me demande comment les comparer et comment éviter de se faire piéger par un « coup de cœur » pour un appartement qui a du charme mais un gros défaut.

      En bon scientifique, je me dis que je pourrais créer un modèle quantitatif qui permette d’apprécier objectivement les qualités d’un appartement selon différents critères, que nous allons choisir.

Par exemple, on peut choisir comme critère l’absence de bruit et le noter de 0 (bruit près d’un grand carrefour) à 5 (aucun bruit). 

On peut ensuite faire de même pour tous les critères importants, toutes les qualités que nous voudrions pour notre appartement. 

      Nous notons ainsi sa surface, son nombre de pièces, la présence d’un ascenseur, l’ensoleillement, la vue, mais aussi des critères comme la proximité des écoles et leur qualité (note de 5/5 si c’est une École Alsacienne), le trafic automobile dans la rue (note maximale si la rue est piétonne), la proximité d’un espace vert ou de la présence d’arbres. Les critères notés sur une échelle de 1 à 5 sont ensuite pondérés par coefficient d’importance, de 0 à 5.  

Je peux ainsi calculer l’indice de qualité de chaque logement, les comparer entre eux ou à un logement idéal. Je peux également répéter ce calcul pour tous les logements, et diviser chaque indice par le prix demandé. J’obtiens ainsi un tableau des rapports qualité/prix des logements visités.

Rue Daguerre et maisonnette.

 Le rapport qualité-prix de l’appartement situé au 14, rue Daguerre surclasse ceux de tous les autres biens visités et nous convient très bien. La rue est piétonne sur cette section. Pour les transports, je peux prendre le RER à la station Denfert-Rochereau et Célie peut marcher jusqu’à l’École Aujourd’hui par le boulevard Edgar Quinet. Mais la distribution de l’appartement pourrait être meilleure et les pièces donnant sur cour sont tristes. 

Dans une première phase nous faisons installer une chaudière à gaz à la place des WC et nous faisons casser les cloisons de la première chambre sur cour afin de créer une cuisine-salle à manger ouverte sur le salon. Après quatre mois de travaux, l’appartement est habitable.

Dans une seconde phase, nous dédions le premier salon aux activités de Célie et nous cachons un grand lit escamotable dans le mur du deuxième salon où Célie et moi couchons dorénavant. Alice récupère la petite chambre au bout du couloir, dans laquelle le lit est monté sur une estrade sous laquelle elle a un espace détente.

     Il y a une fenêtre dans le couloir qui se situe à deux mètres de haut. Je trouve cela frustrant et même insupportable car il y aurait une vue et de la lumière de l’extérieur mais nous en sommes privés.

La lumière qui passe par la fenêtre, traverse le couloir puis la pièce mais en hauteur. 

J’imagine donc de construire une petite maisonnette dans notre appartement. Elle sera à deux niveaux, associée à une tour. 

Cette maison dans la maison, que je construis avec mon frère Jean en trois week-ends, possède un RDC, où il y a seulement un matelas, et un étage où se trouve le lit principal. Contigu à la tour ; il est accessible par un escalier en spirale qui exploite les recoins de l’ancienne cuisine. 

Au premier étage, on peut bénéficier des rayons lumineux et de la vue sur l’extérieur.

Les enfants peuvent descendre de l’étage par un toboggan jusqu’à ce que nous l’enlevions lorsque Guillaume est devenu trop grand pour l’utiliser. 

Elle n’avance que de cinq centimètres sur le couloir, ce qui ne gêne pas nos déplacements (il suffit de ne pas se croiser à cet endroit). 

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Alice est dans la maison de poupée

      Dans l’immeuble, nos voisins du dessous s’appellent Mike et Sylvie Taverna. Un de leurs enfants, Nicolas, est d’âge proche de notre fils Guillaume et ils jouent beaucoup ensemble. 

Nos voisins à l’étage supérieur sont Jean et Julie Fabiani. Lui, est commissaire de police et elle, institutrice. Ils se sont rencontrés en Corse, leurs familles étant issues du même village. 

      En 1990, l’avenue du Général Leclerc est classée « axe rouge », ce qui signifie que tout stationnement, même temporaire, y est interdit. 

En conséquence, il n’y a plus trois, mais cinq voies de circulation, le bruit et la pollution augmentent. Les jours de semaine les capteurs d’AirParis mesurent des concentrations élevées d’oxydes d’azote et de petites particules. On ressent aussi un manque d’air frais. 

Nous décidons alors de rechercher un quartier plus tranquille.

1995 : notre dernier appartement, au 3 rue Vauquelin (5e arr.)

      Nous sommes donc de nouveau à la recherche d’un appartement et l’agent qui va permettre de trouver notre bonheur, est un marchand de chaussures de l’avenue des Gobelins, que Célie connait bien. C’est dans sa boutique qu’elle trouve l’annonce de mise en vente du 90 m2 au 3 rue Vauquelin dans le 5èmearrondissement. La vente fait suite au décès d’Hélène Solomon-Langevin, qui pendant la 2ème guerre mondiale a été résistante, rescapée des camps d’extermination, et députée communiste à l’Assemblée Nationale. 

      Il est calme car sa localisation sur la Montagne Sainte Geneviève le met à l’abri du trafic automobile. 

De plus, il est idéalement situé, juste en face de l’ESPCI, école d’ingénieurs et repaire de chercheurs. Je demande donc au CNRS de m’affecter à un laboratoire de l’ESPCI, ce qui ramène mon temps de trajet de deux heures de transports en commun à deux minutes à pied. 

      Mais cet appartement est dans un état calamiteux : il n’a pas été rénové depuis la construction de l’immeuble en 1891 nécessite de gros travaux pour être vivable.

Je compte seize portes pour cinq pièces, chaque chambre ayant accès à des petits réduits attenants qui servaient à faire sa toilette (sans douche). 

Dans chaque pièce il y a une cheminée en marbre reliée à un conduit débouchant sur le toit mais dans lesquelles il ne faut pas faire de feu.

Un soir d’hiver où elle a besoin de chaleur et de réconfort, Célie fait cependant un feu de bois dans celle du salon. Le feu brule bien mais la suie accumulée dans le conduit pendant de nombreuses années sans ramonage s’enflamme. 

Ce sont les voisins qui nous alertent qu’il y a le feu chez nous, que nous parvenons heureusement à éteindre avec de l’eau.

       Le chauffage semble avoir été un problème pour les habitants de cet appartement. Je trouve en effet des vestiges d’un chauffage collectif avec un local en cave pour une chaudière et des bouches sur les paliers des étages, pour souffler de l’air chaud dans les parties communes. Dans un des placards, Célie trouve un empilement de briques en fonte qui pourraient avoir été utilisées pour accumuler de la chaleur. Certains murs sont couverts par des feuilles de journaux, dans une tentative d’isolation thermique. A l’évidence, les occupants qui se sont succédé ont eu froid. La situation thermique a maintenant changé, il ne fait plus froid à Paris et nos isolations thermiques sont bien meilleures (principalement grâce aux double vitrages).

     Pour rendre cet appartement habitable selon notre style de vie, il faut faire de gros travaux. Et pour concevoir, conduire et réaliser ces travaux, il faut un architecte et des entrepreneurs. Dans le cas de la rénovation complète d’une résidence principale, la mission de l’architecte est quasiment impossible. Au début du projet de rénovation, on remet tout en question y compris la destination des surfaces disponibles. A ce stade, nous attendons de l’architecte qu’il fasse des projets comportant des options très différentes et qu’il nous aide à visualiser des formes et des volumes à 3 dimensions : c’est l’architecte visionnaire. Ensuite les travaux commencent et l’entreprise interprète à sa manière les plans et les consignes de l’architecte, on a besoin de l’architecte réalisateur. Enfin les travaux se terminent, et on découvre plein de détails importants que les entreprises n’ont pas voulu régler. C’est l’architecte gestionnaire qui doit assurer que ces finitions sont bien prises en charge. Mais les sous-personnalités visionnaire, réalisateur et gestionnaire sont peu compatibles entre elles et c’est un vrai challenge de trouver un architecte qui combine les trois.

Dans tous les appartements où nous avons habité, la petite taille de la cuisine était un problème. Dans l’appartement de la rue Vauquelin la cuisine d’origine fait moins de 6 m2, nous l’agrandissons à 10 men grignotant les espaces contigus. Il faut y caser la chaudière, le réfrigérateur-congélateur, les plaques à induction, l’évier-égouttoir, le lave-vaisselle, le lave-linge séchant, le four et une petite table. Les vendeurs d’éléments de cuisine ne savent pas installer une cuisine dans un espace aussi exigu. Un premier vendeur prend des mesures trop imprécises et commande des éléments qu’on ne peut pas faire rentrer parce qu’ils ont quelques centimètres de trop. Finalement nous prenons nos propres mesures et nous profitons d’un long voyage ferroviaire en Norvège pour faire un plan qui positionne tous les éléments avec une précision millimétrique. Rentrés en France, nous trouvons des artisans de la banlieue sud (menuisier, marbrier, plombier et électricien) qui nous font du « sur mesure » à partir du plan élaboré dans le train norvégien et de mesures prises sur place. Le résultat est une cuisine fonctionnelle et compacte, dans laquelle la personne qui cuisine est à portée de main de tous ses instruments, et ensuite (pas en même temps) deux personnes peuvent manger ensemble.

Une des dernières étapes dans la rénovation de cet appartement a été la construction d’un ascenseur dans la cage d’escalier. Au départ il y a une demande de Célie qui dit qu’elle ne peut pas monter des sacs de courses de la rue Mouffetard à la rue Vauquelin et puis les monter jusqu’au 5ème étage.  Dans notre rue, toutes les copropriétés qui pouvaient installer un ascenseur l’ont fait. Le problème est que l’espace non occupé au centre de la spirale de l’escalier est parfois trop petit pour y mettre un ascenseur standard. Célie contacte les fabricants pour savoir si ce projet est réaliste. Deux des fabricants proposent des cabines de formes classiques mais très petites. Le troisième (NSA) propose une cabine dont le sol a pris la forme d’un octogone irrégulier. Je suppose que le bureau d’études s’est fait plaisir en dessinant cette cabine. Elle est plus spacieuse que les cabines de formes classiques (sol = carré ou rectangle), elle transporte jusqu’à 3 personnes, et elle est vitrée sur toutes ses faces.

      Mais la proposition d’investir dans un ascenseur est rejetée par les copropriétaires. Célie et moi demandons alors l’accord des copropriétaires pout installer à nos frais un ascenseur privatif dans les parties communes de la copropriété. Cette demande est également rejetée. Nous faisons alors appel à un avocat qui fait comprendre aux copropriétaires qu’ils ne peuvent s’opposer à une amélioration de l’habitat. S’il y a un procès, ils le perdront. La construction peut alors commencer. L’étape spectaculaire est celle dans laquelle, après avoir rogné les marches de l’escalier, on met en place le « pylône » de l’ascenseur. Les essais ont lieu 1 mois plus tard, ils sont satisfaisants. Plusieurs copropriétaires expriment alors leur souhait d’utiliser cet ascenseur ; ils nous rachètent leur quote-part de l’investissement initial et s’engagent à nous rembourser leur quote-part des frais d’usage et d’entretien. Ce club des utilisateurs fonctionne de manière informelle depuis plusieurs années, il regroupe maintenant tous les copropriétaires sauf un. Un autre utilisateur me remplace désormais pour la répartition des frais d’usage et d’entretien.

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Sur le Pont Alexandre III 
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Au croisement Mouffetard – ArbalètePremière vague de COVID. Nous avons choisi de porter de vrais masques.  

C’est le début de l’épidémie de COVID. Les Parisiens découvrent la vie sociale avec un masque. D’où Célie avait-elle extrait ces masques de guerre qui fonctionnaient avec des cartouches filtrantes ? Cela semblait sérieux.