1983 : Arrivée de Guillaume.
Naissance de Guillaume
Guillaume est né à la maternité des Lilas. (19 octobre 1983). La naissance s’est passée beaucoup plus rapidement que celle d’Alice.
L’arrivée de Guillaume va avoir l’effet d’une bombe dans le petit monde bien policé d’Alice et de Célie et va venir tout révolutionner.
Guillaume prenant le sein. Alice n’est plus seule avec sa Maman. | Celie et Alice en conversation, et Guillaume de dos, fin 85 ou 86 |
Bernard, Alice 5 ans. Elle sait lire |
Guillaume aime les plantes carnivores
Célie aime s’entourer de plantes. Elle a ce qu’on appelle la « main verte ». Une de nos sorties familiales favorites consiste à aller sur l’ile de la Cité, aux baraques du Jardin aux fleurs, avec un chariot à deux roues et à acheter un arbuste accompagné de quelques fleurs puis de rentrer et de faire de la place parmi les plantes de notre balcon pour y installer les nouveaux venus.
A l’âge de douze ans, Guillaume s’intéresse à des plantes un peu particulières : les plantes carnivores. Ces plantes couvrent leurs besoins en composés azotés par la capture et la digestion de petits insectes tels que des moucherons. Les plantes carnivores les plus connues sont le Drosera et le Venus fly trap.
Je me rappelle Guillaume ayant capturé divers insectes volants et essayant de les libérer à proximité d’une plante carnivore, les insectes ne se laissant pas faire.
Sur des plantes carnivores en vente au Quai aux Fleurs, il y a souvent déjà des moucherons capturés et en train de se faire digérer.
Guillaume me fait part de ses difficultés à trouver des plantes carnivores.
Pour comprendre où en trouver, nous raisonnons sur les besoins de ces plantes. Nous arrivons à la conclusion que nous avons les meilleures chances de trouver des plantes carnivores là où elles ont un avantage décisif par rapport aux plantes normales, donc sur des terres pauvres en composés azotés. Ce sont aussi des terres qui sont trop pauvres pour l’agriculture, par exemple des forêts.
Un des livres que Guillaume a consultés mentionne la forêt de Rambouillet. Nous faisons une exploration des endroits les plus boueux de cette forêt, en raisonnant que ces endroits sont trop pauvres en azote pour les plantes normales. Nous rentrons de cette exploration avec beaucoup de boue mais pas de plantes carnivores.
Guillaume trouve des mentions de la présence de plantes carnivores en Limousin, près du lac de Vassivières. Cette information me semble crédible. Le Limousin est une terre pauvre consacrée à l’élevage. Un renseignement trouvé par Guillaume mentionne des plantes carnivores sur une île au milieu du lac de Vassivières, donc dans un endroit difficile d’accès mais cela semble crédible (car si c’était d’accès facile les plantes carnivores auraient déjà été cueillies ou piétinées).
Je décide de l’y emmener. Nous voici arrivés à une très petite gare du train qui va de Limoges à Eymoutiers dans le département de la Haute Vienne. J’avais prévu une randonnée facile, sur des chemins, jusqu’à un petit hôtel qui se trouve à mi-chemin du lac, mais nous avons perdu du temps et la lumière du jour se fait rare. Je ne peux plus lire ma carte. « Guillaume, as-tu la lampe de poche ? » Nous arrivons sur une route déserte et une voiture s’arrête. Si nous étions dans une de nos banlieues, nous aurions vu passer un grand nombre de voitures sans qu’aucune ne s’arrête. La gentille conductrice fait un petit détour pour nous conduire à l’hôtel. L’accueil y est chaleureux.
Le lendemain, Guillaume et moi entamons une marche facile jusqu’à un autre hôtel avec vue sur le lac. La pièce maîtresse de notre équipement est un petit radeau gonflable, tout juste suffisant pour Guillaume seul. Les accessoires indispensables sont la pompe à pied et une cordelette de 20 m pour rappeler le radeau s’il dérive sous l’effet du vent.
Le matin suivant, Guillaume pousse le radeau sur le lac et monte dedans avec quelques images de ses plantes favorites. Il va chercher sur l’île quelques plantes carnivores et en trouve assez pour conforter nos hypothèses mais trop peu pour rentabiliser le coût d’un voyage jusque dans le Limousin.
Cela me rappelle une histoire de chercheurs de champignons que m’a racontée un collègue suédois. Un père est en train de mourir, entouré de sa famille. Son fils lui demande :
– Papa, peux-tu nous dire quel était l’endroit secret où tu trouvais tes champignons ?
– Non !
– Papa, pourquoi non ?
– Je pourrais encore guérir.
J’ai compris que la localisation des plantes et celle des champignons font partie des secrets qu’on ne révèle à personne, même sur son lit de mort.
Guillaume et la pêche : comment attraper des poissons ?
A partir de douze ans, Guillaume s’intéresse à la pêche. Je ne sais pas d’où ça lui est venu. Il lit des livres sur les méthodes de pêche, et avec son argent de poche il achète une canne à pêche avec un moulinet, des hameçons, un flotteur et du fil à pêche. Il lit attentivement les instructions fournies avec les équipements qu’il s’est procurés et il s’entraîne à lancer au loin au moyen de la canne à pêche, puis à ramener l’appât et le flotteur en utilisant le moulinet. Il est parfaitement équipé et mentalement préparé, mais il est un pêcheur théorique parce qu’il n’a pas encore attrapé de poisson.
Je regarde des cartes de la région parisienne et je vois qu’il y a, en forêt de Rambouillet, des étangs où l’on peut pêcher.
Un jour, Guillaume et moi mettons nos vélos dans le train et nous partons pour Rambouillet. Nous pédalons jusqu’à un étang où un autre pêcheur est déjà installé. Guillaume essaye sa canne à pêche, son flotteur et ses hameçons. Rien ne se passe. Au bout de deux heures, il est découragé.
L’autre pêcheur amateur n’attrape rien non plus. Il nous explique que les poissons ont appris à rester au fond de l’étang aux heures où les pêcheurs s’affairent à la surface.
Un autre week-end, j’emmène les enfants dans une ferme qui a pris le nom de « ferme du Paradis ». Pour plaire à Alice, il y a des chevaux. Elle monte sur l’un d’eux. Pour plaire à Guillaume, y a un tout petit étang, où l’on peut voir un grand nombre de poissons. Il essaye rapidement son équipement, mais les poissons ne veulent pas mordre à l’hameçon, même si on amène l’appât juste devant leur nez. Guillaume reste un pêcheur qui n’a jamais attrapé un poisson.
Pendant cinq ans, je collabore avec des collègues suédois de l’Université de Lund. A l’été 1997 (je crois), nous partons là-bas en famille, Célie, Guillaume et moi. Guillaume a emballé soigneusement son équipement de pêcheur et l’a emporté dans l’avion. Lorsque nous sommes installés dans la maison d’hôtes de l’Université, je regarde la carte des environs de Lund et je vois qu’il y a, à portée de bicyclette, un groupe de trois étangs dédiés à la pêche. Une demi-heure plus tard, nous y sommes. Guillaume met en place sa canne à pêche, lance l’appât le plus loin possible. Un petit poisson mord à l’hameçon et Guillaume parvient à le tirer hors de l’eau. Premier poisson ! Mais le gardien arrive et nous dit que cet étang est réservé aux pêcheurs qui pêchent « à la mouche », une méthode bien plus difficile et sportive que le simple envoi d’un flotteur. Le gardien nous menace d’une amende en cas de récidive et nous demande de remettre le petit poisson à l’eau. Nous obtempérons et nous repartons, un peu déçus, sur nos bicyclettes.
Quelques jours plus tard, je trouve par hasard une annonce pour des sorties de pêche en mer. Le prochain départ a lieu le lendemain du port de Malmö à 10h30, ce qui nous laisse juste le temps de nous y rendre par le train.
Arrivés au port de Malmö, le bateau attend, son diesel tourne lentement. Il reste deux places à tribord, que nous prenons Guillaume et moi. Quelques retardataires arrivent encore, tout essoufflés et on largue les amarres. Le capitaine guide le bateau sur la mer Baltique, traverse ce bras de mer dans un sens et dans l’autre, à la recherche des poissons. Les poissons d’une espèce se regroupent en essaims afin d’optimiser leur vitesse de reproduction. Le capitaine utilise un sonar pour détecter et localiser ces bancs de poissons.
A 10 h, le capitaine arrête le moteur et annonce que la pêche peut commencer.
Guillaume a déjà préparé sa canne à pêche, son fil et ses hameçons. Il prévient ses voisins qu’il va lancer sa ligne car il faut éviter que les lignes se croisent et fassent des nœuds.
Au premier essai, pas de poisson. Il relance dans une autre direction, toujours rien. Mais au troisième lancer, ça mord ! Guillaume ramène sa prise hors de l’eau, c’est une morue qui fait bien 40 cm de long, avec des flancs très brillants. Il est tout fier. Nous la plaçons dans la glace pilée. Guillaume passe de l’autre côté du bateau et se remet à pêcher. Il y reste longtemps et attrape deux autres morues. Il gagne la confiance d’un couple qui a immigré de Finlande quelques années auparavant. Il leur fait cadeau de l’une de ses trois morues et eux l’invitent à venir pêcher le hareng près de chez eux, n’importe quel jour avant le coucher du soleil.
Le capitaine redémarre le diesel et ramène le bateau à sa place dans le port. Guillaume et moi revenons en train avec les 2 poissons. C’est alors que Celie nous explique les conditions de la conservation du poisson : Il faut « vider » le poisson, c’est à dire enlever tous les organes, et ne laisser que les muscles et la peau. Une fois vidé et cuit délicatement, le cabillaud « de pêche » a un goût plus « frais » que celui auquel je suis habitué. Mais il faut que quelqu’un fasse le sale boulot de vider le poisson.
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Quelques jours plus tard, je téléphone au couple de Finlandais et nous faisons un RV pour la pêche au hareng. Les Finlandais savent que les harengs se reproduisent dans des eaux saumâtres (moins salées que la mer) qu’on trouve dans un estuaire, là où un petit fleuve se jette dans la mer : les harengs sont ainsi relativement protégés de leurs prédateurs principaux qui ont besoin d’une eau plus salée. De manière quasi-rituelle, chaque jour au coucher du soleil, une fraction des harengs qui sont dans la mer nage vers ces estuaires et s’accumule à leur entrée. Nos amis Finlandais ont trouvé un endroit proche de l’estuaire où ils peuvent, avant le coucher du soleil, immerger et attacher un fil métallique portant des crochets tous les 30 cm, et après le coucher du soleil, relever cette ligne avec les harengs qui se sont accrochés. Nous convenons par téléphone d’un jour prochain, et Guillaume part à la pêche aux harengs. Il en revient avec non pas un, ni deux, mais 20 poissons. Célie s’interroge un moment sur la question de savoir qui veut vider et nettoyer 20 harengs en moins d’une soirée, et qui les mangerait sans souffrir de la monotonie du même plat tous les jours. Célie résout ce dernier problème en invitant d’autres personnes à partager nos harengs.
Je suis certain que cette aventure ne pourrait pas être répétée de nos jours. D’une part, la population de morues (Cod en anglais) de la mer Baltique s’est effondrée à cause d’une pêche trop intensive. L’histoire de Guillaume montre bien que l’utilisation du Sonar déséquilibre complètement les chances de survie des poissons en présence des humains comme prédateurs : on imagine qu’un banc de poissons peut disparaître entièrement si les pêcheurs le localisent trop facilement. D’autre part la pollution de la mer Baltique s’est aggravée, mettant en question la comestibilité des poissons.
Les avions de Guillaume.
On fait des avions en réutilisant des matériaux courants. Les matériaux de grande diffusion sont ceux qu’on trouve un peu partout, qui ne coûtent pas cher à l’achat et qu’on peut facilement réutiliser ou recycler. Des exemples courants de matériaux de grande diffusion sont le papier, le carton, le polystyrène expansé, les ciments et les peintures et colles dites acryliques. Ces matériaux ont parfois une structure modulaire obtenue par répétition de sous-unités identiques : pour le papier, les sous-unités sont les feuilles, qu’on rassemble pour fabriquer un livre ou un bloc -notes ou encore pour les imprimer. La régularité des sous unités joue un rôle très important car des feuilles disparates en dimensions latérales et en épaisseurs seraient beaucoup plus difficiles à manipuler que la rame de 500 feuilles identiques et bien empilées. Avec des sous-unités suffisamment rigides (des morceaux de carton ondulé) on peut, par un protocole de pliage adéquat, fabriquer des objets très légers qui ont des performances étonnantes : des fauteuils qui supportent le poids de plusieurs personnes, des chaises, des étagères. On peut aussi recycler des boites pour faire d’autres boites, car l’appétit pour toujours plus de boites semble insatiable : nous vivons dans une société où tout ce qui fait l’objet d’une transaction est emballé individuellement, et la boite carton rivalise avec le sac plastique comme contenant universel.
Un de mes matériaux favoris est le papier. J’en fais une consommation régulière car dans mon travail de consultant, je note tout ce que je vois, tout ce que j’entends et tout ce que je comprends. Mon fils Guillaume m’a fait remarquer qu’il ne m’a jamais vu en vacances sans un bloc-notes A4 quadrillé à portée de mains. Ce récit raconte une utilisation imprévue du bloc- notes A4 quadrillé.
Guillaume est âgé de douze ans lorsque nous passons deux jours à Grenoble, Célie, lui et moi.
La ville de Grenoble est située au confluent de trois vallées. Les montagnes qui bordent ces vallées m’impressionnent à chaque fois que je les contemple car leurs parois sont très élevées et parfois frôlent la verticalité. Pourtant, certaines de ces parois peuvent être escaladées facilement en suivant des chemins qui exploitent astucieusement leurs points faibles : failles, terrasses, et tous les endroits où la dissolution du calcaire dans l’eau a creusé la roche.
Je remarque dans un topo-guide la description de l’ascension du mont Saint Eynard en passant par le pas Guiguet. Je suis étonné par l’existence d’un chemin sur cette paroi formidable, mais le topo-guide mentionne la présence d’un câble placé au pas Guiguet, afin de sécuriser le passage le plus raide. De plus, le point de départ est très facile à atteindre et cela nous convient. Nous d’abord une sente peu visible à travers une forêt. En raison de la pente, les arbres donnent l’impression d’être couchés sur le sol par un grand vent. La sente continue et nous sortons de la forêt. Ce que nous apercevons de la suite nous donne l’impression que nous pourrions perdre le lien avec la verticalité. C’est une paroi composée d’énormes blocs empilés. En continuant à monter, nous comprenons comment le chemin utilise la structure de la paroi : il va vers elle, bute contre un bloc, trouve une faille dans la paroi, grimpe dans cette faille et rejoint le haut d’un autre bloc, qu’il utilise de nouveau comme une terrasse pour se déplacer latéralement jusqu’à la prochaine faille. Il y a bien un câble de sécurité, mais je doute un peu du niveau de sécurité obtenu. J’essaye donc de ne pas tirer dessus. Nous atteignons finalement l’arête sommitale.
Au moment où nous sortons de la paroi, nous entendons un sifflement, comme celui fait par un très fort courant d’air. Cela vient de plus bas et cela vient vers nous. C’est un planeur ! Cet un avion sans moteur cherche constamment un courant d’air ascendant pour gagner de l’altitude. Nous voyons qu’il s’écarte de la paroi et puis y retourne, utilisant les courants ascendants qui semblent nombreux par ici. En effet, la paroi est exposée au Sud-Est. Dès le matin, elle reçoit des rayons lumineux et transfère l’énergie reçue à l’air proche de la paroi. L’air réchauffé, plus léger que l’air de la vallée, monte le long de la paroi. Il est remplacé, en bas de la paroi, par de l’air frais venant de la vallée. Arrivé en altitude, l’air chaud se refroidit, et retourne dans la vallée. C’est ainsi que s’installe, selon Rayleigh et Bénard, une boucle thermique avec aller le long de la paroi et retour au centre de la vallée. Par une belle journée d’été, près du col de la Forclaz, dans le massif des Bauges, on peut voir de très nombreux parapentistes utilisant ces moteurs à air chaud.
Nous admirons comme le pilote parvient à maîtriser son vol en étant si proche de la paroi, ce qui suppose que ce planeur monoplace soit exceptionnellement maniable. Il doit savoir quelque chose sur les couches d’air chaud que nous ne savons pas.
Peut-il accumuler les gains d’altitude obtenus par différents moteurs aero – thermiques ? Pourrait-il gagner assez d’altitude en Chartreuse pour voler jusqu’en Provence ?
Guillaume, qui aime faire des expériences, me demande si j’ai du papier. « Peux-tu me donner une feuille A4 ? » L’exploration de mon sac-à-dos révèle la présence de l’inévitable bloc quadrillé, du papier de bonne qualité qui conserve bien la mémoire des plis qu’on lui impose. Guillaume plie et replie la feuille A4 pour en faire un avion du genre triangulaire et le lance vers la vallée du Grésivaudan. L’avion vole droit puis se retourne et tombe au pied de la paroi. Il en fait un autre qui vole un peu plus haut. Le troisième est pris par la colonne d’air chaud et monte toujours plus haut jusqu’à n’être plus qu’un point sous les nuages.
Si cette expérience devait être répétée, pour ne pas polluer la vallée, il conviendrait de faire les avions avec un papier qui se dégrade spontanément par l’effet des rayons UV, ou bien il faudrait les récupérer.
Mon confère Jean Charvolin, qui fabriquait avec ses amis d’enfance, des avions beaucoup plus grands et plus rigides que ceux de Guillaume, traversait toute la Chartreuse pour les récupérer. Ils étaient faits en bois de balsa et pouvaient atteindre 1m20 d’envergure. Ils possédaient un moteur, une hélice et une petite réserve de fuel. Leur vol se terminait par un crash qui ne les détruisait pas. Tenter d’aller les récupérer était une activité à part entière, qui a permis à Jean et ses amis de visiter toute sorte d’endroits qu’ils auraient ignorés.
Je suppose que dans un futur proche, les enfants auront des drones pour explorer des endroits pittoresques par voie aérienne. Mais les principes de fonctionnement d’un drone ne sont pas ceux d’un avion et les jeux pourraient être différents.