M. Brun : comment réussir une négociation avec l’administration.
Cette histoire, qui m’a été racontée par une de mes aide-ménagères, Edith Kakou est vraie. Monsieur Brun a existé. Il est mort un peu avant le Covid (2019).
Le programme d’hospitalisation à domicile de la Ville de Paris prévoit que des patients de l’hôpital peuvent consulter, faire des examens et recevoir des traitements sans bloquer un lit d’hôpital. Ils sont hospitalisés à domicile.
Le lien entre le patient et l’hôpital fait l’objet d’une convention d’hospitalisation qui reprend toutes les prestations médicales et annexes.
Monsieur Brun avait eu du temps de sa carrière, une haute position dans l’APHP et, pour assurer ses vieux jours, il avait acheté un superbe appartement à côté de l’hôpital.
Il était atteint d’une maladie neurologique incurable et avait signé avec la Ville de Paris une convention d’hospitalisation à domicile qui prévoyait le passage quotidien d’une infirmière pour lui administrer ses traitements et d’une aide-ménagère (Edith K.)
Elle m’expliquait que Monsieur Brun, l’infirmière et elle s’entendaient très bien, que tout allait bien, lorsqu’un jour, l’infirmière remarqua de petites taches de sang sur ses vêtements.
Elle comprend que ce sont des punaises de lit. Nul ne sait d’où elles sont venues, mais par précaution, il faut décontaminer tout le logement de M. Brun.
Pendant la désinfection, l’hôpital prévoit de le reloger dans une chambre réservée pour lui. Mais celui-ci refuse de déménager car il n’aime pas changer ses habitudes. Le problème c’est que tant qu’il n’a pas déménagé de son logement, toute la désinfection de tout l’hôpital est bloquée.
Ce blocage devient un sujet de conversation dans l’hôpital. Edith K. est amenée à rencontrer le responsable du programme de désinfection. Elle comprend qu’on n’a pas demandé à M. Brun quels aménagements pourraient rendre ce déménagement moins perturbant pour lui.
C’est, selon moi typique du comportement d’une administration française : se fixer une règle et la suivre à la lettre sans tenir compte des choses qui sont importantes pour les personnes.
La négociation commence mais elle est bloquée du fait d’un non-dit : les objectifs affichés par les deux parties ne correspondaient pas à leurs objectifs réels.
La négociation se termine lorsque M. Brun accepte de céder sur la question du déménagement et de ne conserver que les habitudes qui lui tiennent le plus à cœur. Il obtient le passage d’une infirmière et d’une aide-ménagère nominatives, qui lui sont attribuées sans changement de personne, jusqu’à la fin de sa vie.
Cet accord tient alors lieu de nouvelle convention d’hospitalisation, qui permet de décontaminer le logement de M. Brun.
Vie et mort de Paul Luquin.
Nous sommes en 1966, quatre ans avant la mort de Paul Luquin. Je suis en vacances avec mes parents à Cogne et nous pratiquons ensemble la moyenne montagne.
Puis, pour rentrer en France, je cherche des itinéraires qui m’amènent dans des coins sauvages, voire encore jamais découverts.
Je me retrouve dans la vallée d’ Ailefroide[BC1] dans les Hautes Alpes. Je marche sur la route jusqu’au point où elle vient buter contre la montagne. Là se trouve un chalet qu’on appelle le « pré de madame Carle ». Je vais me renseigner pour savoir s’il y a des guides de montagne pour m’accompagner lors de courses (partir du refuge, monter jusqu’à un sommet et redescendre au refuge). On me répond : regardez juste à côté : si vous voyez un homme avec une grosse moto, en train de fumer des petits cigarillos, c’est un guide de montagne ! ». Je vais voir l’homme en question. Il s’appelle Paul Luquin. Tout de suite, un bon contact s’établit entre nous. Il comprend mon besoin de sauvagerie et me propose de le rejoindre à un point sur le chemin du refuge d’Ailefroide car il a une autre course à faire avant, avec un autre client. Nous faisons accord et me voilà partir pour le lieu de RV.
Je le retrouve au pied des arrêtes de Sialouze. Clic-clac, les mousquetons sont accrochés. Il part dans la paroi, tirant la corde derrière lui. Les passages sur l’arrête s’enchaînent, jusqu’au passage- clé où l’itinéraire redescend de la paroi. Ensuite, c’est le point délicat de la course : il faut redescendre en rappel. Pour cela ; il faut trouver le point d’attache. Paul le dégage précautionneusement. On se met à cheval sur la corde et on bascule dans le vide. Il faut que les cordes soient de la bonne longueur, ici, environ 30 mètres, pour que le rappel s’effectue confortablement. J’arrive en premier sur la rémaille et nous redevenons au refuge.
J’ai tellement aimé cette course que je suis retourné la faire avec mon compagnon de cordée, Yves, environ un an après.
A notre retour, Paul prend immédiatement en charge une autre groupe de sept personnes, qui doit monter au mont Pellevou par un couloir très raide. Paul me confie comme un secret « lorsqu’il y a sept personnes qui ont chacun leur piolet et qui sont encordés, la cordée ne peut pas être décrochée ». C’est-à-dire que si l’on n’est que deux, et qu’une personne tombe, l’autre a du mal à le tenir sur son piolet mais c’est faisable. Alors que s’il y a plusieurs personnes encordées et qu’une personne glisse, plusieurs resteront accrochées avec leur piolet.
Quand il me dit cela, il me semble qu’il fait complément erreur, car si un des participants glisse, il va décrocher celui qui se trouve au-dessus de lui et leur poids additionné sera insupportable pour celui qui est encore au-dessus.
J’aurais peut-être dû le lui dire, répondre quelque chose à son commentaire, vu la suite des événements. Je le regrette.
Il part donc avec ces sept alpinistes amateurs pour une course très longue et très difficile. On peut les voir progresser très lentement sur l’arrête. Mais à moment on les perd de vue et le soir, on ne les voit pas arriver.
On les retrouvera le lendemain dans la rimaille du glacier, tous attachés à la même corde. Donc le fait d’avoir mis tout le monde sur la même corde leur a peut-être été fatal.