Même après cinquante années de vie commune, l’autre reste un mystère. Ce qui s’est réellement passé, c’est la vie de Célie Fox Cabane. Je n’en connais pas tout. Elle ne tenait pas de journal, moi non plus. Nous connaissons à peu près la succession des événements grands ou petits qui ont fait nos aventures et qui ont marqué nos vies. Ce sont les histoires présentées ici.
Mais je ne sais pas ce que Célie a ressenti et pensé dans chacun de ces moments.
On peut se demander s’il lui a fallu du courage pour m’accompagner dans mes aventures ou si elle aspirait elle-même à une vie emplie d’aventures, une vie qui soit tout sauf bien rangée.
Dans sa vie professionnelle, Célie prenait des notes manuscrites. Toutes ces notes ont été détruites. Il ne reste comme traces matérielles que des étagères remplies de livres, des bandes audio et vidéo et des boîtes de pâte à modeler.
La famille de Célie
Son père Irving –
- Le survivor.
Irving Fox, le père de Célie, est un mythe à lui seul. Il incarne ce que l’on appelle aux Etats-Unis un « survivor », celui qui réchappe plusieurs fois de la mort. Il a en effet eu une vie exceptionnelle, d’après ce que j’en sais et qui m’a été raconté par Irving lui-même lors de visites que Célie et moi faisions à ses parents.
Irving naît en Hongrie en 1908. Sa famille est originaire de Lemburg, nom yiddish de cette ville alors autrichienne, aujourd’hui appelée Lviv et située en Ukraine et appartient à l’importante communauté juive qui y prospère au début du XXe siècle.
Ses parents et lui émigrent à New-York, quand il n’est qu’un nouveau-né.
Il commence sa vie d’adulte dans les ghettos juifs de New-York, en enchaînant des emplois temporaires et des « petits boulots ». C’est l’époque de la grande dépression des années 1929-30 et il traverse cette première épreuve grâce à ses qualités sociales, qui lui permettent d’établir de bonnes relations dans la communauté juive.
Quand les USA entrent en guerre en 1942, Irving, qui aurait pu rester à domicile comme soutien de famille à ses parents âgés. Mais il fait le choix de s’engager dans l’armée pour combattre les nazis les armes à la main.
On sait qu’il a travaillé dans le renseignement car après la guerre, il rentrera avec un revolver et un chien, ce qui signifie qu’il ne faisait pas partie des soldats que l’on envoyait au front. Sans doute que sa connaissance de l’allemand, proche de sa langue maternelle, le yiddish, lui a permis d’être utile en assistant aux interrogatoires des prisonniers comme traducteur.
Je croyais me souvenir qu’il avait fait partie des forces commandées par le général Montgomery, qui sont arrivées le deuxième jour du débarquement et qui subirent d’énormes pertes. Il y a là encore cette idée qu’il y survit, comme par miracle. Cependant, pour qu’il ait pu participer au débarquement, il aurait fallu qu’il soit en Angleterre, où il n’y avait pas de prisonniers à interroger nécessitant sa présence. Il est donc plus probable que ses fonctions auprès du renseignement lui aient épargné le front et le débarquement.
A y réfléchir, il n’a jamais parlé de sa participation aux combats du débarquement en Normandie.
En 2024, je fais des recherches dans les documents authentiques de l’armée américaine (voir annexes) .
Je m’aperçois qu’il a servi dans la 9e Airforce du 27 novembre 1942 au 10 novembre 1945.
La 9e Airforce a commencé à établir une base arrière dès que l’espace des pistes a été sécurisé. Elle est chargée de réparer et de remettre en service tous les avions endommagés jusqu’à se transformer en un gigantesque magasin de pièces détachées.
C’est là que lui sert sa formation logistique acquise dans les années 1930. Irving m’a fait la remarque qu’il aurait été bien plus utile comme gérant de magasin de pièces détachées qu’à tirer avec un canon anti-aérien.
Il a ensuite servi dans la Première armée américaine, qui forme le gros du corps expéditionnaire et dans le 21e British Army Group, qui était à l’extrémité Ouest des plages du débarquement.
Il est canonnier au sein d’une équipe de batterie anti-aérienne sous le numéro 32 645 141.
Toutes ces forces étaient sous commandement du Général Montgomery pour lequel Irving avait un certain respect.
Autre source : https://www.99bg.org/fox-irving-f4749-99bg.cfm
Sur ce site, j’apprends qu’il a fait partie du 99e groupe de bombardement, donc qu’il a participé aussi aux attaques perpétrées par les avions.
Après avoir été un survivor, Irving va incarner un autre symbole de réussite à l’américaine, le self made man.
Dans les années d’après-guerre, Irving monte une entreprise de vente par correspondance de transformation de manteaux de fourrure démodés. Les clientes envoient leurs vieux manteaux, l’entreprise désassemble toutes les pièces et les réassemble selon les critères de la dernière mode. Les manteaux rénovés sont envoyés et seul le coût de la transformation est facturé. Irving travaille dur pour cette affaire qui marche très bien : dans un pays où il fait froid, c’est un pari gagnant. Il prend des marges élevées et le marché est stable.
Au bout de quelques années, il a acquis un capital important, qui lui permet d’acquérir une maison en Californie.
La famille s’agrandit dans la maison de Lewitt’s town. Le couple Irving – Liliane a d’abord un garçon, Mike, puis deux filles, Célie, en 1950 et Lynn, en 1951. La maison ne convient plus, d’autant plus qu’on ne peut pas dire aux enfants « allez jouer dans la cour » car le climat trop rigoureux.
Irving et Liliane vendent alors l’entreprise et achètent une nouvelle maison à Los Angeles où ils déménagent en 1955.
Ils gardent assez de capital pour qu’Irving puisse se permettre de jouer à la bourse de New-York, ce qu’il fait à son ouverture (vers les quatre heures du matin, compte tenu du décalage horaire).
Sa réussite se poursuit dans des investissements en bourse.
Nous avions une relation basée sur le respect mutuel. J’avais un peu d’argent, il en avait beaucoup. Mais j’avais une culture générale plus étendue que la sienne. Là où il était vraiment fort, c’était dans le business. Il espérait construire sa relation avec moi dans un partenariat où il aurait amené le capital, j’aurais amené ma culture générale, appropriée au projet et nous aurions travaillé ensemble.
Il m’a fait plusieurs ouvertures, du type : « Paris ?Je n’aurais aucun problème à venir m’installer ici, ce n’est qu’une grande ville comme une autre. ».
Mais ce n’était pas compatible avec mes plans de devenir un super chercheur au CNRS.
Sa mère Liliane –
La réussite spectaculaire d’Irving a pour conséquence l’effacement social de sa femme. L’organisation de la vie de famille est hiérarchisée et très structurée par les règles religieuses qu’Irving veille à faire respecter et par les fêtes juives, qui demandent à Liliane de nombreuses préparations culinaires spécifiques.
Elle passait énormément de temps à faire la cuisine et Célie disait que lorsque sa mère, était fâchée, elle avait tendance à oublier la nourriture sur le feu. La famille mangeait alors un repas trop cuit comme une punition collective pour avoir collectivement oublié de se montrer reconnaissant envers elle.
Son frère, Mike (ou Harry)
Je sais très peu de choses sur Mike car j’ai eu peu d’occasions d’interagir avec lui. Il faisait partie de la classe d’âge dans laquelle les garçons étaient conscrits pour aller faire la guerre au Vietnam. Mais on a trouvé dans ses archives médicales, la mention d’un risque de démence liée à une malformation cérébrale. Grâce à cela, il a été exempté du service militaire et a mis cette opportunité au service d’un projet dans le domaine de l’habillement. Il se voulait être un homme d’affaires, mais son projet n’avait rien d’original. Il s’agissait de vendre séparément des T-Shirts blancs et les motifs qui seraient imprimés dessus.
Il s’était installé à Rockwall, un faubourg de Dallas, au Texas, car c’était un des endroits où il pouvait démarrer son affaire avec le plus faible investissement et le moins de complications.
Il cherchait une niche, un marché petit mais actif, dans lequel il pourrait apprendre le métier sans prendre de risques personnels excessifs.
Sa sœur, Lynn
Lynn grandit en bonne entente et sans compétition avec sa grande sœur Célie. Elle l’appelle « my fun loving older sister » et se sent protégée par elle. Elles jouent aux mêmes jeux, souvent ensemble.
Voici le témoignage qu’elle m’a confié sur leurs relations.
“Among my earliest memories in West Los Angeles moving into our home on Laurel Ave and the bedroom we shared for fifteen years. We were elated when our parents made our bedroom sparkle with matching pink floral curtains and bedspreads. Then, returning from a family Disneyland holiday, Celie and I played endlessly with our Tinkerbell fluorescent wands and painted stars on the bedroom’s ceiling with fluorescent paint in shining yellow-green tones. Eventually, the florescence’s stars lulled us to sleep. We played nightly with our wands and stars for many more weeks and months, thrilled with the magic. We couldn’t be more delighted.
Family picnics in the woods of Griffith Park were frequent, with lots of freshwater streams to explore and polliwogs to search for. Hours were spent with Celie running up and down the moss-covered rocky streams, enjoying the crisp mountain air. The sweet, fragrant pine trees and pine cones, the feeling of the breezy air, and the sounds of trickling freshwater streams endure.”
Célie enfant
Quand Célie et Lynn naissent en 1950 et 1951, la famille Fox habite encore Levits town, un gros lotissement étalé sur Long Island dans l’état de New York, à plus d’une heure du centre-ville.
C’est à l’âge de quatre et cinq ans qu’elles arrivent à Los Angeles avec toute la famille, suite à la vente de l’affaire familiale.
Célie passe toute sa jeunesse dans cette maison du ghetto juif de West-Hollywood. Elle fréquente l’école du quartier, la Fairfax High School dont le niveau scolaire est exceptionnel.
Célie adolescente
Elle est adorée par son père qui, à son adolescence, déteste les garçons qu’elle amène à la maison, qu’il traite de « loosers ».
Elle m’a parlé d’une liaison avec un certain Alan, dont je ne sais rien et d’une autre liaison avec Steven, que j’ai rencontré en soirée et avec qui j’ai pu parler de Célie.
Il m’a dit « She has a weird sense of social responsibility », ce que je traduis par : elle a une sensibilité inhabituelle à sa responsabilité sociale .
Je pense que cette phrase exprime bien le caractère de Célie, qui était très différent de celui de sa petite sœur.
Les deux filles ne sont nées qu’à un an d’intervalle et ont grandi ensemble, pourtant, elles ont des caractères opposés. Célie est créative, provocatrice et n’a pas peur du désordre tandis que Lynn est classique, mesurée et ordonnée.
Celie en 1964 à 14 ans
Célie aux USA
La famille de Célie fait pression sur elle pour qu’elle fasse un bon mariage. Ils la verraient bien épouser un jeune homme ambitieux à la carrière prestigieuse plutôt qu’un de ces hippies incontrôlables qui ferait honte à la famille.
Pour leur faire plaisir, elle se met à travailler, pendant quelques mois, dans un cabinet dentaire où elle voit se développer une liaison extraconjugale entre le dentiste et son assistante, qui aboutit au divorce de celui-ci.
Mais elle craint de devenir une épouse délaissée dans une grande maison, avec deux grosses voitures, une piscine mais sans stimulation intellectuelle.